Contentieux TEOM

Ce compte-rendu fait écho à l’épisode 23 de la saison 02 de notre podcast dédié au contentieux relatif à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM). Le Conseil d’Etat est dernièrement venu apporter des précisions utiles sur la portée de sa jurisprudence en la matière.

Or, la genèse de cette décision mérite d’être brièvement rappelée car notre cabinet, CBV Avocats, a eu l’honneur d’y contribuer en intervenant en première instance aux côtés de l’administration fiscale et de la collectivité territoriale ayant voté les taux de TEOM dont la proportionnalité était contestée en l’espèce.

Pour rappel, les fondements jurisprudentiels du contentieux administratif en matière de TEOM ont des racines relativement anciennes (CE, 2 novembre 1938, Sté « Les Petits-Fils de François de Wendel », Moselle : RO 18e vol. p. 452) mais c’est en 2014 qu’une décision du Conseil d’Etat est venue (ré)activer ce contentieux en considérant qu’il ressort du I de l’article 1520 du code général des impôts (CGI) «que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales ; le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de ces dépenses, tel qu’il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux » ; le caractère « manifestement disproportionné » auquel le Conseil d’Etat fait référence dans cette jurisprudence n’est cependant pas défini avec précision mais se situe au moins à 15 %, dans la mesure où, en l’espèce, l’écart entre dépenses et produit de la TEOM atteignait ce pourcentage (CE, 31 mars 2014, Min. c/ Sté Auchan France, n°s 368111, 368123, 368124).

Depuis lors, le Conseil d’Etat a pu apporter des précisions, notamment en ce qui concerne :

  • les recettes non fiscales pouvant être prises en compte pour l’appréciation du caractère disproportionné du taux de TEOM (CE, 25 juin 2018, Sté Auchan France, n° 414056) ;
  • l’impossibilité de prendre en compte les dépenses exposées pour l’administration générale d’une commune, selon une clé de répartition forfaitaire le cas échéant (CE, 16 janvier 2018, société Auchan France, n° 412674; CE, 19 mars 2018, Société Cora, n° 402946) ;
  • la possibilité, sur le fondement de l’article 1639 A du CGI, de substituer au taux de TEOM manifestement disproportionné, celui de l’année immédiatement précédente (CE, 1er juillet 2019, Société Auchan, n° 427067) et ce, sauf à ce que le contribuable excipe également du caractère disproportionné du taux de TEOM voté au titre de cette dernière année (CE, 1er juillet 2020, Société L’Immobilière Groupe Casino, n° 424288) ;
  • le caractère restreint du contrôle qu’il exerce sur l’appréciation de la disproportion par les juges du fond : c’est ainsi qu’a notamment été validé un écart de 14,6 % entre le produit et la fraction non couverte des dépenses prévisionnelles du service (CE, 5 mai 2021, Société hôtelière de la porte de Sèvres, n° 438897) ou qu’a été sanctionné un excédent de 22,9 % (CE, 22 avril 2022, SNC Hyper 19, n° 454748).

Parallèlement, :

  • le législateur a élargi le champ des dépenses que la TEOM a pour objet de financer et précisé que le dégrèvement de la taxe consécutif à la constatation, par une décision de justice passée en force de chose jugée, du caractère disproportionné de cette taxe sera désormais à la charge de la collectivité territoriale concernée (article 1520 du CGI dans sa rédaction issue, d’abord, de l’article 57 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, puis, de l’article 23 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019) ;
  • le Conseil d’Etat a finalement autorisé la prise en compte de certains coûts des directions ou services transversaux centraux au moyen d’une comptabilité analytique « permettant, par différentes clés de répartition, d’identifier avec suffisamment de précision les dépenses qui, parmi celles liées à l’administration générale de la métropole, peuvent être regardées comme ayant été directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets» – il s’agit des « dépenses indirectes » pour reprendre l’expression consacrée par le rapporteur public sur cette décision (CE, 22 octobre 2021, CANOL c/ Métropole de Lyon, n° 434900, M-G. Merloz).

C’est dans ce contexte que CBV Avocats a été chargé par une collectivité territoriale d’intervenir dans plusieurs dizaines de dossiers afin de défendre, devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, et aux côtés de l’administration fiscale qui garde la maîtrise du contentieux en tant que partie principale au litige, la proportionnalité des taux de TEOM votés par cette collectivité au titre des années 2019 et 2020.  

Dans ces contentieux, nous avions produit une comptabilité analytique retraçant (i) des dépenses directes exposées pour les besoins du service de collecte des déchets mais budgétairement affectées à d’autres fonctions au sein des budgets primitifs des années considérées et (ii) des dépenses indirectes ; le tout dans la droite lignée de la jurisprudence précitée du Conseil d’Etat, ramenant ainsi la disproportion des taux de TEOM à 13,84 % pour 2019 et 11,35 % pour 2020, soit bien en-deçà de la marge de tolérance de 15 % traditionnellement admise.

Lors de l’audience publique devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, notre associé, Bruno Valente, avait eu l’occasion d’insister sur le fait que la marge de tolérance de 15 % était non seulement l’expression du contrôle restreint qu’effectue le Conseil d’Etat – lequel s’attache au caractère « manifestement disproportionné » du taux de TEOM – mais qu’elle permet également d’opérer un équilibre entre les droits du contribuable, le principe de légalité de l’impôt et le caractère nécessairement prévisionnel attaché au budget local et aux recettes fiscales qu’il a pour objet d’estimer ; en d’autres termes, la prise en compte des coûts transversaux de la comptabilité analytique n’a pas vocation à exclure l’aléa budgétaire existant à la date du vote du taux de la TEOM. De même, interrogé par le tribunal sur le rattachement des charges exceptionnelles aux dépenses de fonctionnement de la collectivité en cause, il avait pu confirmer que ces dépenses étant bien listées, en l’espèce, au nombre des dépenses réelles de fonctionnement au sein du budget primitif de l’année 2020, il n’y avait aucune raison légale et/ou jurisprudentielle de les écarter.

Or, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, bien que reconnaissant le bien-fondé de la comptabilité analytique produite en l’espèce, a décidé de retenir le caractère manifestement disproportionné des taux de TEOM en litige tout en refusant de prendre en compte les charges exceptionnelles budgétisées par la collectivité au titre de l’année 2020, portant ainsi le taux de disproportion pour cette dernière année de 11,35 % à 12,50 %. En effet, selon ce tribunal, la « [prise] en compte des coûts transversaux issus de la comptabilité analytique, a pour objectif d’approcher le plus finement possible le coût complet du service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales, ce qui réduit les aléas de gestion que le taux allégué de 15 % a vocation à couvrir. Dans ces conditions, et au regard notamment des dépenses réelles d’investissement qui n’étaient pas prises en compte sous l’empire des législations antérieures au 1er janvier 2019, les taux de surfinancement mis en évidence dans la présente espèce doivent être regardés comme manifestement disproportionnés. » (TA Cergy-Pontoise, 7 juin 2022, société OPPCI Sogecapimmo, n° 2109950, point 9 ; et une dizaine d’autres décisions rendues en ce sens le même jour).

L’administration fiscale, partie principale au litige, a donc décidé de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat qui a rendu sa décision le 14 avril dernier (CE, 14 avril 2023, société OPPCI Sogecapimmo, n° 465403, concl. E. Bokdam-Tognetti).

Le rapporteur public a notamment pu relever dans ses conclusions que cette décision a vocation à « constitue[r] la tête d’une série contentieuse de plusieurs dizaines de dossiers – plusieurs centaines si l’on tient compte également des litiges au stade de la réclamation » avant de suggérer au Conseil d’Etat de censurer la décision du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en ce qu’il a décidé :

  • d’exclure la prise en compte des charges exceptionnelles précitées alors que « D’une part, de telles dépenses relèvent bien, au sein du budget, de la section fonctionnement. D’autre part, celles de ces dépenses exceptionnelles qui ne correspondent pas à des opérations pour ordre, répondent à la notion de « dépenses réelles »» et qu’au surplus, « l’article 1520 du CGI visant les « recettes ordinaires n’ayant pas un caractère fiscal » (…) ne comporte aucune restriction de cette nature pour les dépenses » ;
  • de considérer qu’en l’espèce, les taux de TEOM en litige étaient manifestement disproportionnés alors que l’« incertitude, qui peut justifier que l’organe délibérant, par prudence et en fonction du contexte à la date de sa décision, décide de fixer le taux de la taxe à un montant excédant, dans la limite du raisonnable, le montant prévisionnel des dépenses du service, n’est aucunement affectée par le recours à la comptabilité analytique pour l’évaluation de certains coûts transversaux des services centraux. ».

Le Conseil d’Etat ayant suivi son rapporteur public a donc relevé que :

  • « Figurent au nombre des dépenses réelles de fonctionnement au sens du 1° du I de l’article 1520 du code général des impôts, les charges exceptionnelles de fonctionnement, lorsqu’elles n’ont pas le caractère de dépenses d’ordre » (CE, Ibid., point 5) ;
  • « En jugeant que le produit de la taxe voté au titre des années 2019 et 2020 dont il avait estimé qu’il excédait de 13,84 % en 2019 et de 12,50 % en 2020, voire de 11,35 % cette seconde année en tenant compte des charges exceptionnelles, était manifestement disproportionné au motif que la prise en compte des coûts transversaux du service de collecte et de traitement des déchets, issus de la comptabilité analytique, permettait de réduire les aléas de gestion, alors que la prise en compte de ces coûts n’avait pas pour effet de priver de leur caractère prévisionnel les dépenses prises en compte pour la détermination du taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères à la date du vote de la délibération, et, par suite, de supprimer l’aléa inhérent à l’exécution du budget, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a commis une erreur de droit. » (CE, Ibid., point 6).

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a estimé qu’il était opportun de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et, partant, de considérer que « les taux fixés par les délibérations dont la légalité est contestée ne peuvent pas être regardés comme manifestement disproportionnés. » (CE, Ibid., point 9).

Toute l’équipe de CBV Avocats se réjouit donc d’avoir pu participer utilement à la genèse de cette décision du Conseil d’Etat qui clarifie ultérieurement certains aspects du contentieux en matière de TEOM – lequel prend désormais les traits d’un contentieux de masse – et qui avaient pu jusque-là cristalliser des divergences entre les tribunaux administratifs du territoire.

En espérant que ces quelques éléments vous permettront de mieux appréhender les caractéristiques de ce régime fiscal particulier, n’hésitez pas à nous contacter en cas de questions.