CBV Avocats, qui dédie une partie de ses publications au droit du sport (cf. notamment nos articles sur le fair play financier), a décidé de revenir sur le cas de l’international français, soupçonné de dopage, afin de proposer une présentation juridique de l’affaire qui se déroule actuellement en Italie.

Chronologie des principaux évènements :

  • Le 20 août 2023, Paul Pogba résultait positif à la testostérone à l’occasion des analyses effectuées lors du match Udinese-Juventus ;
  • Le 12 septembre 2023, l’international français a donc fait l’objet d’une suspension provisoire pour violation des règles en matière de dopage. A cette date, nous attendions encore les contre-analyses destinées à confirmer ou infirmer les résultats de l’échantillon A du 20 août dernier ;
  • Le 6 octobre 2023, les contre-analyses – ou les résultats de l’échantillon B – confirment la positivité de l’échantillon A ;
  • Le 7 décembre 2023, nous apprenions dans la presse italienne que Paul Pogba aurait refusé l’accord qui lui était proposé par les instances italiennes compétentes consistant en une suspension de deux ans, étant précisé qu’il en risque quatre. Il y aura donc bien un procès dans cette affaire ;
  • Le 18 janvier 2024 était la date initialement prévue pour le début de ce procès mais cette date a vraisemblablement été renvoyée, à la demande de ses conseils, à une date indéterminée à ce jour.

Rétrospective juridique de ces évènements :

A l’instar de Paul Pogba, les joueurs professionnels évoluant en Serie A – la ligue 1 italienne – sont affiliés à la Federazione Italiana Giuoco Calcio (FIGC), soit l’équivalent de la Fédération Française de Football (FFF).

En matière de lutte contre le dopage, il faut distinguer :

En effet, le CONI compte parmi ses activités institutionnelles, celle de lutte contre le dopage qui est exercée en Italie par l’intermédiaire de l’Organisation Nationale Antidopage (ci-après, « la NADO Italia ») – Organizzazione nazionale antidoping – qui regroupe notamment :

Cette organisation italienne dépend de l’Agence Mondiale de lutte contre le dopage (World Anti-Doping Agency ou WADA) et est seule compétente pour transposer dans l’ordonnancement juridique italien les normes adoptées par le Code Mondial Antidopage dont elle est signataire.

C’est d’ailleurs cette agence mondiale qui arrête la liste des substances et méthodes interdites en matière de dopage ; ladite liste est donc identique pour tous les pays ayant ratifié la Convention internationale contre le dopage dans le sport et adoptée à Paris le 19 octobre 2005 – l’Italie et la France font partie de ces pays.

En l’espèce, c’est à la demande du PNA que le TNA a donc décidé d’ordonner la suspension provisoire de Paul Pogba et ce, conformément à l’article 8.3 du Codice Sportivo Antidoping– qui est un document technique destiné à mettre en œuvre en Italie le Code Mondial Antidopage –, lequel renvoie à la Procedura di Gestione dei Risultati (PGR) et notamment à son article 3 – autre document technique destiné à mettre en œuvre les directives de l’Agence Mondiale de lutte contre le dopage en matière de gestion des résultats.

Le communiqué de presse du TNA récitait très exactement ce qui suit : « Il Tribunale Nazionale Antidoping in accoglimento dell’istanza proposta dalla Procura Nazionale Antidoping, ha provveduto a sospendere in via cautelare l’atleta: Paul Labile Pogba (Figc) per la violazione degli articoli 2.1 e 2.2; sostanza riscontrata: Metaboliti del testosterone di origine non endogena (I risultati del GC/c/IRMS sono compatibili con l’origine esogena dei metaboliti) ».

En français, nous pourrions traduire ce communiqué comme suit : « Le Tribunal National Antidopage accueille favorablement la requête formée par le Parquet National Antidopage et ordonne la suspension provisoire de l’athlète : Paul Labile Pogba (Figc) pour violation des articles 2.1 et 2.2 ; substance relevée : Métabolites de la testostérone d’origine non endogène (les résultats du GC-c-IRMS sont compatibles avec l’origine exogène des métabolites) ».

A noter qu’en France, c’est le président de l’AFLD qui est seul compétent pour ordonner une mesure de suspension provisoire (article L. 232-23-4 du Code du sport).

Les articles 2.1 et 2.2 visés dans le communiqué de presse précité sont ceux du Codice Sportivo Antidoping relatifs aux substances et comportements prohibés en matière de dopage, par référence donc à la liste établie par l’Agence Mondiale de lutte contre le dopage. Cette liste, mise à jour chaque année, est également en vigueur en France (Décret n° 2022-1583 du 16 décembre 2022, relayé et commenté par l’AFLD).

L’article 11.2 du Codice Sportivo Antidoping précise les sanctions auxquelles s’exposent les athlètes violant les dispositions des articles 2.1 et 2.2 précités, soit une suspension pouvant aller jusqu’à quatre ans dans le cas de Paul Pogba. Là encore, tout comme en France (article L. 232-21 du Code du sport), les sanctions qui peuvent être prononcées sont conformes au Code Mondial Antidopage.

L’article 11.8 du Codice Sportivo Antidoping (cf. également l’article 7 de la PGR) prévoit quant à lui la possibilité pour l’athlète mis en cause de conclure un accord avec la NADO Italia, ce qui suppose qu’il reconnaisse l’infraction qui lui est reprochée et en accepte donc les conséquences afin de pouvoir bénéficier d’une période de suspension réduite, le cas échéant. En France, il s’agit de la procédure de composition administrative qui permet au sportif de conclure un accord analogue avec le secrétaire général de l’AFLD (articles L. 232-22, al. 4 et L. 232-23-3-10, III et IV du Code du sport). Ces procédures françaises et italiennes sont conformes à la procédure de renonciation à l’audience prévue par le Code Mondial Antidopage.

Or, en l’espèce, il semblerait que l’international français ait refusé l’accord qui lui était proposé par la NADO Italia – soit, une suspension de deux ans si l’on en croit la presse italienne -, préférant ainsi que son cas fasse l’objet d’un procès devant le TNA.

L’audience devant le TNA devait initialement se tenir le 18 janvier 2023 mais celle-ci a finalement été renvoyée à une date indéterminée.

Quelle sera la stratégie de défense de Paul Pogba devant le TNA ? A priori, il s’agira pour ses avocats de démontrer la bonne foi de Paul Pogba en capitalisant sur le fait que ce dernier n’aurait pas ingéré la substance dopante litigieuse de manière intentionnelle dans le but d’influer sur ses prestations sportives.

Le cas échéant, conformément à l’article 11.2 précité du Codice Sportivo Antidoping, la suspension maximale encourue passerait de quatre à deux ans, à charge ensuite pour ses avocats de convaincre le TNA de l’existence de circonstances atténuantes qui permettraient alors de réduire le risque d’encourir la sanction maximale de deux ans. Il est vraisemblable que ces discussions nécessitent l’intervention d’experts scientifiques à l’audience.

Une fois la décision rendue par le TNA, Paul Pogba pourra alors faire appel de cette décision devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) de Lausanne – qui est seul compétent pour connaître de l’appel des sportifs de niveau international et ce, conformément à l’article 18.2.1 du Codice Sportivo Antidoping (cf. également l’article 18 de la PGR). En France, une disposition analogue, toujours inspirée par le Code Mondial Antidopage, est également en vigueur (articles L. 232-5, I-16° et L. L232-24-2 du Code du sport).

A l’issue de la décision TAS, une voie de recours devant le Tribunal fédéral suisse – autorité judiciaire suprême de la Confédération suisse – sera en principe ouverte mais pour des motifs limités, tels que l’absence de compétence, la violation des règles élémentaires de procédure (par exemple violation du droit d’être entendu) ou l’incompatibilité avec l’ordre public.

A noter que depuis le début de cette affaire, le salaire dont bénéficie Paul Pogba de la part de son club, la Juventus de Turin, a été réduit au minimum, conformément à l’article 11.4, (iii) et (iv) de l’accord collectif en vigueur, soit 42 477 euros bruts par an.