Dans la continuité de la publication de l’épisode 20 de la saison 2 de notre Podcast d’actualité fiscale (cf. E20S02), nous vous prions de bien vouloir trouver ci-après notre compte-rendu écrit des jurisprudences qui y sont évoquées.

CE, 2 avril 2021, n° 427880

Le Conseil d’Etat rappelle que pour déterminer le traitement fiscal en France d’une opération impliquant une société de droit étranger, le juge de l’impôt se doit d’identifier d’abord, au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l’opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

En l’espèce, le Conseil d’Etat, statuant définitivement sur l’affaire, énonce que la société étrangère en cause, créée en 1986 sous la forme d’une  » corporation  » de droit américain dans l’Etat du Delaware, est assimilable à une société par actions simplifiée de droit français et qu’elle est dès lors passible de l’impôt sur les sociétés à raison de sa forme sociale, en application du 1 de l’article 206 du CGI, sans qu’il soit besoin d’examiner le caractère lucratif de son activité.

CE, 2 juin 2022, n° 448888 et 448886

Par deux arrêts liés, le Conseil d’Etat rappelle qu’une cession de titres à prix minoré est susceptible de caractériser une distribution occulte (article 111, c. du CGI) imposable entre les mains du bénéficiaire ainsi qu’un acte anormal de gestion  (articles 38 et 209 du CGI) justifiant un rehaussement de l’imposition de la société ayant consenti cette libéralité déguisée.

Cependant, lorsque l’administration, qui n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu’elle a retenue et que le contribuable n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l’acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l’appauvrissement qui en a résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie.

Dans la présente espèce, les contribuables produisaient notamment la copie d’une promesse de vente démontrant l’existence d’une telle contrepartie ; le Conseil d’Etat prononce alors la décharge des impositions litigieuses.

CE, 3 juin 2022, n° 452708

Le Conseil d’Etat expose que l’indemnité d’expropriation accordée à une société soumise à l’impôt sur les sociétés par le juge d’expropriation dans le cadre d’une procédure d’urgence, fût-elle provisoire et non définitive, est une créance acquise au sens de l’article 38 du CGI et donc imposable au titre de l’exercice de sa perception.

CE, 14 juin 2022, n° 454107

Le Conseil d’Etat a transmis à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) une question préjudicielle qu’il est intéressant de relever.

Pour rappel, en vertu du régime mère-fille (articles 145 et 216 du CGI), les dividendes en provenance de filiales sont exonérés d’impôt sur les sociétés, à l’exception d’une quote-part de frais et charges de 5 %. Ce taux est fixé à 1 % lorsque ces filiales appartiennent à un groupe fiscalement intégré en France ou sont établies dans des Etats membres de l’Union Européenne autres que la France. Néanmoins, s’agissant des filiales françaises, ce taux réduit de 1 % ne s’applique pas si la non-appartenance de ces sociétés à un groupe est uniquement due à l’absence des options et des accords à formuler pour le régime de l’intégration fiscale, toutes les autres conditions d’application du régime étant par ailleurs remplies. En d’autres termes, une société mère française doit nécessairement intégrer fiscalement ses filiales françaises si elle souhaite bénéficier du taux réduit de quote-part de frais et charges ; les filiales localisées dans un autre Etat membre de l’Union Européenne sont quant à elles éligibles à ce taux réduit sans qu’elles aient besoin d’appartenir à un groupe fiscalement intégré en France, la constitution d’un tel groupe étant d’ailleurs fiscalement impossible dans ce dernier cas. C’est donc cette restriction que le Conseil d’Etat soumet à la CJUE afin de s’assurer qu’elle ne s’oppose pas au principe de liberté d’établissement.

CE, 21 juin 2022, n° 443828

Le Conseil d’Etat rappelle que l’importance des sommes éludées ainsi que la répétition des manquements déclaratifs sont des éléments à prendre en considération pour apprécier le bien-fondé de l’application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue à l’article 1729, a. du CGI.

CE, 21 juin 2022, n° 449408

Le Conseil d’Etat rappelle que pour l’application de l’article 123 bis du CGI – qui assimile à des revenus de capitaux mobiliers imposables en France les revenus réalisés par l’intermédiaire de structures établies dans un pays à fiscalité privilégiée et détenues à hauteur d’au moins 10% par une personne physique domiciliée fiscalement en France – « les bénéfices ou les revenus positifs d’une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié sont déterminés selon les règles du code général des impôts comme si l’entité juridique était imposable à l’impôt sur les sociétés en France. Ces règles incluent le régime des sociétés mères défini aux articles 145 et 216 du code général des impôts dès lors que l’entité juridique serait soumise totalement ou partiellement à l’impôt sur les sociétés au taux normal si elle était établie en France ».

Cet arrêt confirme donc la doctrine de l’administration fiscale concernant les règles applicables en la matière pour la détermination des bénéfices ou revenus positifs de la structure étrangère (BOI-IS-BASE-10-10-20 n° 320).

CE, 23 juin 2022, n° 446656

Le Conseil d’Etat rappelle qu’il ressort d’une lecture combinée des articles 1729 du CGI et L. 195 A du LPF que l’application de la majoration de 40 % en cas de manquement délibéré suppose que l’administration fiscale apporte la preuve d’une part, de l’insuffisance, de l’inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d’autre part, de l’intention de l’intéressé d’éluder l’impôt. Pour cela, elle doit se placer notamment au moment de la déclaration.

Sur cet aspect, cet arrêt est donc à rapprocher de celui du 21 juin 2022, n° 443828, susmentionné.

Cependant, l’apport du présent arrêt ne s’arrête pas là car Conseil d’Etat va également rappeler que les constatations de faits qui sont le support nécessaire d’un jugement définitif rendu par le juge pénal s’imposent au juge de l’impôt. Par suite, en présence d’un jugement définitif de relaxe rendu par le juge répressif, il appartient au juge de l’impôt, avant de porter lui-même une appréciation sur la matérialité et la qualification des faits au regard de la loi fiscale, de rechercher si cette relaxe était ou non fondée sur des constatations de fait qui s’imposent à lui.

En l’espèce, les constatations de faits du juge pénal faisaient obstacle à l’application de la majoration de 40 % ; néanmoins, le Conseil d’Etat précise qu’il est loisible à l’administration fiscale de substituer à la majoration de 40 % celle de 10 % prévue à l’article 1758 A du CGI et qui est exclusive de toute appréciation du caractère intentionnel ou non du manquement imputable au contribuable.

CE, 23 juin 2022, n° 445785

Le Conseil d’Etat rappelle à titre liminaire que l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que : « 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites (…) ».

Aussi, « Lorsqu’un contribuable non-résident conteste, au regard de la libre circulation des capitaux, l’imposition à laquelle il a été assujetti sur ses revenus de source française, il convient de comparer la charge fiscale supportée respectivement par ce contribuable et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable. Lorsqu’il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l’administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l’impôt, de dégrever l’imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d’une équivalence de traitement ».

En l’espèce, la constatation de cette équivalence justifie que le Conseil d’Etat rejette le pourvoi du contribuable tendant à la décharge intégrale du prélèvement mis à sa charge.

CE, 5 juillet 2022, n° 463021

Le Conseil d’Etat répond indirectement à la question de savoir si un crédit d’impôt étranger peut être imputé sur l’impôt français au titre de la réintégration de la quote-part de frais et charges prévue dans le cadre du régime mère-fille.

En effet, contrairement à ce que soutient l’administration fiscale dans sa doctrine (cf.  BOI-IS-BASE-10-10-20-20210311 n° 100 : « [L’article 216 du CGI] fixe un mode de calcul pour la réintégration des charges afférentes à des produits qui ne sont pas imposés et ne peut s’analyser comme conduisant à l’imposition d’une partie des dividendes. »), le Conseil d’Etat va considérer que compte tenu du caractère forfaitaire de la quote-part des produits de participations qu’une société mère doit réintégrer à son bénéfice en application du régime mère-fille, sans possibilité pour cette dernière de limiter cette réintégration au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par elle au cours de la période d’imposition en vue de l’acquisition ou la conservation des revenus correspondants, ce dispositif doit être regardé non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d’impôt sur les sociétés, mais comme visant à soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime mère-fille.

Le Conseil d’Etat va donc annuler la doctrine de l’administration fiscale sur ce point, ce qui ouvre désormais la voie à l’imputation des crédits d’impôt étrangers sur l’impôt sur les sociétés dû à raison de cette quote-part.

Il est donc recommandé aux contribuables concernés d’envisager le dépôt de réclamations auprès de l’administration fiscale aux fins d’obtenir la restitution de l’impôt sur les sociétés qu’ils ont acquitté sans pouvoir se prévaloir des crédits d’impôt conventionnels.

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