Article L. 241-8 du Code de la sécurité sociale

Des justiciables ont saisi la Cour de cassation, en date du 27 août 2018 (U 18-15.844), d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ainsi formulée :

« Les dispositions de l’article L. 241-8 du code de la sécurité sociale (CSS), telles qu’interprétées par la jurisprudence de la Cour de cassation, sont-elles contraires aux principes constitutionnels de liberté contractuelle, de liberté d’entreprendre et de droit de propriété en ce qu’elles interdisent aux parties à un contrat de travail de prendre en compte pour la détermination de la rémunération variable (versée en plus d’un salaire fixe supérieur au minimum légal et/ou conventionnel) les charges patronales payées sur la rémunération des salariés ? »

Cette QPC s’inscrit dans le cadre d’un pourvoi formé contre un arrêt n° 15/01330 de la Cour d’appel de Paris, pôle 6, chambre 4, du 27 février 2018. Dans cette dernière décision, les juges du fond ont refusé de renvoyer cette même QPC à la Cour de cassation avant de statuer sur le fond du litige.

Les faits de l’arrêt d’appel susmentionné sont les suivants : conformément aux termes de son contrat de travail, un salarié exerçant une activité de gestionnaire de portefeuille perçoit une rémunération composée d’une partie fixe, et d’un intéressement s’élevant à 70% du montant des commissions de gestion encaissées grâce aux capitaux gérés.

Or, le contrat de travail stipule que la détermination de la composante variable de sa rémunération se fait après déduction :

  • De son salaire fixe ;
  • De toutes charges patronales liées au salaire fixe et à l’intéressement ;
  • Des frais de déplacement et de représentation des salariés.

Le salarié, appelant dans l’affaire, considère que cette déduction des charges patronales liées au salaire fixe et à l’intéressement pour le calcul de l’intéressement est contraire à l’article L. 241-8 du CSS, lequel dispose que « la contribution de l’employeur reste exclusivement à sa charge, toute convention contraire étant nulle de plein droit ».

C’est pourquoi l’employeur, partie intimée à l’instance, soulève une QPC, telle que formulée supra. A ce titre, il argue que l’article L. 241-8 précité, tel qu’il est interprété par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, est notamment contraire au principe constitutionnel de liberté contractuelle.

En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation sanctionne toute dérogation (qu’elle soit afférente à la partie fixe ou variable de la rémunération) aux dispositions d’ordre public de l’article L. 241-8 du CSS (cf. notamment Cass. Soc. 14/09/2005 n° 03-43314).

C’est donc plus particulièrement cette dernière interprétation jurisprudentielle que l’employeur souhaite contester à travers sa QPC.

La Cour d’appel de Paris a donc procédé à une analyse de la QPC soulevée. En ce sens, après avoir constaté que la disposition contestée était bien applicable au litige et qu’elle n’avait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution, elle procède à l’analyse du caractère sérieux de la question.

Les juges du fond constatent tout d’abord que l’existence d’un régime de protection sociale contribue à l’intérêt général via une collectivisation des risques sociaux dont l’impossibilité d’imputer ces cotisations patronales sur la rémunération acquise par le salarié serait le corollaire naturel.

Dans cette configuration, la Cour d’appel relève que « permettre à une convention de prendre en compte, pour la détermination du montant de la partie variable versée en plus d’un salaire fixe, les charges patronales payées sur la rémunération des salariés équivaudrait à faire peser indirectement sur le salarié, lors du paiement de l’intéressement, le poids des cotisations patronales assises sur ses salaires et constituerait donc une dérogation à l’article L. 241-8 du [CSS] » contraire à l’objectif poursuivi par le législateur.

Néanmoins, la Cour précise que « la prise en compte des autres charges sociales et d’exploitation patronales et des frais professionnels au titre de l’évaluation de la partie variable de la rémunération annuelle n’est par contre pas illicite car conforme au principe de la liberté contractuelle ».

Ainsi, les juges du fond concluent que les dispositions de l’article contesté et son application jurisprudentielle sont pleinement justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Pour toutes ces raisons, avant de statuer sur le fond du litige, la Cour d’appel décide que la QPC est dénuée de tout caractère sérieux et qu’il n’y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation.

Reste donc à savoir si la Cour de cassation, qui est finalement saisie de cette question d’inconstitutionnalité à l’occasion du pourvoi formé contre l’arrêt d’appel en cause, aura la même interprétation.

Affaire à suivre…

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