Loi PACTE - Régime français des offres de jetons (tokens)

CBV Avocats se propose aujourd’hui d’analyser l’article 26 du projet de loi PACTE qui vise à mettre en place un nouveau cadre juridique pour les émissions de jetons (ou « token » en anglais).

Cette mesure s’inscrit dans le chapitre II « Des entreprises plus innovantes », section 1 « Améliorer et diversifier les financements », sous-section 1 « Mesures en faveur du financement des entreprises par les acteurs privés » et dispose notamment que :

« Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

(…)

7° Le titre V du livre V est complété par un chapitre II ainsi rédigé :

« Chapitre II

Émetteurs de jetons

Art. L. 552-1. – Est soumis aux obligations du présent chapitre tout émetteur qui procède à une offre au public de jetons et qui sollicite un visa de l’Autorité des marchés financiers dans les conditions prévues aux articles L. 552-4 et suivants.

Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à toute offre de jetons qui n’est pas régie par les livres Ier à IV, le chapitre VIII du titre IV du présent livre ou le chapitre Ier du présent titre.

Art. L. 552-2. – Aux fins du présent chapitre, constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien.

Art. L. 552-3. – Une offre au public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons.

Ne constitue pas une offre au public de jetons l’offre de jetons ouverte à la souscription par un nombre limité de personnes, fixé par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, agissant pour compte propre.

Art. L. 552-4. – Préalablement à toute offre au public de jetons, les émetteurs peuvent solliciter un visa de l’Autorité des marchés financiers.

Les émetteurs établissent un document destiné à donner toute information utile au public sur l’offre proposée et sur l’émetteur.

Ce document d’information et les communications à caractère promotionnel relatives à l’offre au public présentent un contenu exact, clair et non trompeur et permettent de comprendre les risques afférents à l’offre.

Les modalités de la demande de visa préalable, les pièces nécessaires à l’instruction du dossier et le contenu du document d’information sont précisés par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers.

Art. L. 552-5. – L’Autorité des marchés financiers vérifie si l’offre envisagée présente les garanties exigées d’une offre destinée au public et notamment que l’émetteur des jetons :

– est constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France ;

– met en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre.

L’Autorité des marchés financiers examine le document d’information, les projets de communications à caractère promotionnel destinées au public postérieurement à la délivrance du visa et les pièces justificatives des garanties apportées. Elle appose son visa sur le document d’information selon les modalités et dans le délai fixés par son règlement général.

Art. L. 552-6. – Si, après avoir apposé son visa, l’Autorité des marchés financiers constate que l’offre proposée au public n’est plus conforme au contenu du document d’information ou ne présente plus les garanties prévues à l’article précédent, elle peut ordonner qu’il soit mis fin à toute nouvelle souscription ou émission, ainsi qu’à toute communication à caractère promotionnel concernant l’offre, et retirer son visa dans les conditions précisées par son règlement général.

Art. L. 552-7. – Les souscripteurs sont informés des résultats de l’offre et, le cas échéant, de l’organisation d’un marché secondaire des jetons selon des modalités précisées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers. » ;

(…)»

Cette initiative est issue de deux constats :

  • Le gouvernement français a pu relever que les « offres initiales de jetons » (« Initial Coin Offering » ou « Initial Token Offering » en anglais) sont de plus en plus nombreuses. Ce développement des émissions de token traduit l’attrait de ce nouveau mode de financement et d’investissement tant au sein de l’écosystème blockchain que pour les entreprises innovantes qui souhaitent attirer de nouvelles catégories d’investisseurs ou de clients, selon des modalités inédites.
  • Néanmoins, celui-ci a réalisé que ces Initial Coin Offering (ICO) ne sont pas encadrées juridiquement en France.

Ayant identifié que cette absence d’encadrement juridique est la conséquence de la pluralité de qualifications juridiques dont peuvent faire l’objet ces token selon leurs caractéristiques propres, le projet de loi PACTE propose donc dans un premier temps de définir ce qu’est un « jeton » et une « ICO ».

Ainsi, un jeton est défini comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien» et une offre publique de jetons ou « ICO » consiste à « proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons.

Ne constitue pas une offre au public de jetons l’offre de jetons ouverte à la souscription par un nombre limité de personnes, fixé par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, agissant pour compte propre ».

Il est possible de remarquer que cette définition s’inscrit dans la droite lignée de celle adoptée par le Conseil d’Etat le 26 avril 2018. Citant l’article 516 du code civil, le Conseil d’Etat déduit de la lettre de ce texte que les unités de bitcoin ne relèvent pas de la catégorie des biens immeubles et ont ainsi la nature de biens meubles incorporels.

Puis, ce projet de loi propose de mettre en place des mesures de contrôle.

Les mesures de contrôle envisagées se traduiraient par un visa optionnel délivré par l’AMF. Ce dernier serait proposé aux émetteurs de jetons, sous réserve qu’ils respectent certaines règles de transparence afin d’éviter des abus et d’informer et protéger l’investisseur.

L’AMF se verrait ainsi confier le soin d’examiner les documents élaborés par lesdits émetteurs en amont de leur offre (« white paper »). Elle pourrait en outre exiger que les émetteurs de jetons se dotent d’un statut de personne morale établie ou immatriculée en France, mettent en place un mécanisme de séquestre des fonds recueillis, ou tout outil d’effet équivalent, et un dispositif d’identification et de connaissance du client.

Les acteurs ainsi labellisés figureraient sur une « liste blanche », sur laquelle l’AMF communiquerait auprès du grand public, qui identifierait les acteurs qui respectent ces règles.

Cet encadrement juridique n’aurait qu’une vocation transitoire dans l’attente de règles européennes et internationales, nécessaires sur ces sujets par nature transnationaux.

Par ailleurs, si les jetons présentent les caractéristiques d’un titre financier au sens de l’article L.211-1 du code monétaire et financier, ceux-ci demeureraient soumis au régime de l’offre au public de titres financiers et ne seraient pas régis par ces nouvelles dispositions prévues aux articles L.552-1 et suivants dudit code.

A la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi PACTE, il apparaît que le gouvernement souhaite que ces mesures de contrôle soient incitatives et souples. Il est toutefois possible de s’interroger sur la crédibilité des émetteurs de jetons qui refuseraient de se soumettre à ce contrôle de l’AMF. En ne les voyant pas apparaître sur cette « liste blanche » de l’AMF, les potentiels souscripteurs risquent en effet de ne pas vouloir investir, et certains projets pourront avorter par manque de financement.

CBV Avocats étant intervenu sur des opérations de levée de fonds via la technologie blockchain, notre équipe se tient à votre disposition pour tout renseignement additionnel afférent au traitement juridique et fiscal des crypto-actifs ainsi que sur les ICO.

Les associés de notre cabinet ne manqueront pas de vous tenir informés de toute évolution relative à cette mesure et de son éventuelle adoption.